Mission de protection

Aussi discret qu'un pachyderme dans une fabrique de poterie Dom s'était décidé à rejoindre Naskia et se fit lamentablement remarquer par la femme, s'en suivit un sentiment de peur de sa part puis bien vite l'esprit de l'individu se voila de craintes. Tout alla vite. Trop vite. Des esprits tordus, j'en avais visité plus d'un et je m'étonnerai toujours des immondices que j'y trouvais. Celui ci valait son pesant d'or, il connaissait Naskia et dès lors qu'il eut reconnu la jolie brune, son esprit fut ravagé par la haine et la colère. Elle lui avait fait affreusement mal par le passé, il n'y a d'ailleurs pas longtemps en lui sectionnant les tendons. Il avait a présent du mal à maitriser ses gestes et la douleur que je ressentais venait de là.
Je m'applique à la repousser afin qu'elle ne n'entrave pas mes gestes, avec des gens de cette trempe pas besoin d'être empathique. Il ne le mérite pas, pas plus qu'il mérite d'avoir la vie sauve.
Il prononce un "toi" accusateur qui confirme ce que j'avais vu et le tout s'enchaine. Dom écarte la prostituée qui n'a pas bien le temps de comprendre et Naskia se jette sur l’assassin sans prendre le temps de me répondre. Et je comprenais bien son absence de réponse, nous n'étions pas entrainés à faire équipe ensemble et elle n'était pas habituer non plus à répondre en pensant. Nous faisons une belle équipe, boiteuse.

Par peur qu'elle ne se fasse blessée et par rage de vaincre cet ignoble mec, je me concentre sur son esprit. La colère lui tord les tripes lui donnant la force de se servir de ses bras mutilés pour attaquer et se défendre. Moi je ne veux lui laisser aucune chance, à deux contre lui en n'en aura pas. Restant encore à ma place dans la précipitation du moment je tente d'immobiliser l'individu. Je ferme les yeux repliant mon esprit sur lui même afin de mieux aller cibler le sien l'instant d'après. Malgré son agitation, sa haine, je m'applique pour le figer*...

Le héros solitaire enrageait. Ses bras refusaient de répondre correctement à ses ordres et cela l'empêchait de se défendre contre celle qui en était la cause. Cette sale garce aurait dû recevoir une punition pour ce qu'elle lui avait fait ! Au lieu de ça, le héros solitaire était en train de perdre pied. Sa volonté plus forte que la douleur ne suffisait pas à dépasser ce handicap qu'étaient devenus ses bras. Il manqua sa cible deux fois à cause d'un sursaut incontrôlable, cette salope, elle, ne le manqua pas. Et tandis qu'un étrange malaise se faisait sentir dans son esprit, il se retrouva à terre, immobilisé par son adversaire.

Désormais impuissant, le héros solitaire poussa un cri de rage. Il tenta de se libérer par un sursaut de colère.

« Lâche-moi sale garce ! »

La prostituée s'était figée d'horreur. Elle avait reconnu Naskia, ce qui l'empêcha de faire une bêtise. Elle préféra rester à l'écart, sans chercher à fuir ou à aider. Voyant qu'elle ne risquait plus rien, Dom rejoignit Naskia pour l'aider à tenir l'enragé en place.

- Ne le tue pas.

Il craignait que l'assassin ne cherche à achever l'homme, qui alors ne pourrait plus rien dire, alors qu'il devait pourtant avoir tout un tas de choses à expliquer.

Dom leva les yeux pour chercher sa partenaire dans l'obscurité. Elle n'avait pas été d'une grande utilité, lui non plus à vrai dire. Les deux Libérés n'avaient pas servi à grand-chose ce soir, Naskia s'en était finalement sortie sans eux. Naej avait eu une bonne intention en les envoyant, pourtant. Au moins avait-il honoré sa part du contrat.

- Tu peux venir, invita-t-il l'autre Libérée.

Puis il demanda à Naskia :

- Il y a un endroit tranquille dans le coin pour lui poser des questions sans déranger ?

Il pensait aux prostituées, spectatrices inutiles, qui n'avaient vraiment pas besoin de voir ce qui risquait d'arriver. Pas question, pour autant d'emmener Naskia dans une planque Libérée, et il semblait logique que la Réprouvée soit là, c'était plus son problème à elle qu'à eux au final.

La lutte n'avait pas duré très longtemps mais suffisamment pour foutre en boule Naskia. Elle n'aimait pas les corps-à-corps de ce genre. Les insultes glissaient sur elle comme l'eau sur les plumes d'un canard, mais les mots du Libéré qui arrêtèrent son instinct de mort la firent grimacer. Occupée à immobiliser un type déjà lourdement handicapé et passablement taré, elle aurait nettement préféré l'achever proprement et en finir que de torturer encore ce pauvre type. S'il n'avait pas fait autant de mal, il lui ferait presque de la peine.

Et voilà qu'il fallait qu'elle fournisse une salle d'interrogatoire en plus ? Non mais, on rêvait franchement. Naej ne manquait décidément pas de souffle quand il avait donné ses instructions à son bras gauche. Une fois le type correctement immobilisé par une fine cordelette de cuir, elle se releva et secoua sa cape.

- J'ai pas signé pour ça.

Elle avait secoué la tête fermement et appuya son refus d'un regard volontaire pour Dom puis Indis.

- Prenez la première à droite et ensuite deux fois à gauche. Y'a une boutique en cours de rénovation, le chantier est arrêté pour trois jours en attendant des matériaux. Personne viendra vous y chercher avant demain soir.

Un demi -sourire sarcastique aux lèvres, elle se toucha le front comme un salut désuet tout en inclinant le buste, puis tourna les talons vers ce qui ressemblait fort à une sombre impasse.

Naskia n'était pas d'humeur à faire de l'humour. Pourtant, et par égards pour Indis, elle se fendit d'un regard qui disait à la jeune femme son appréciation. C'était bien plus que ce qu'elle était capable de donner en de telles circonstances. Et il n'était pas question de s'abaisser à accomplir les basses besognes des Libérés. Si Naej voulait qu'elle tue quelqu'un, il n'avait qu'à commanditer le meurtre et la payer pour, comme les autres. Elle ne deviendrait pas le bras armé d'une société secrète à laquelle la plupart des gens ne croyait même pas. À nouveau, elle hocha négativement la tête.

- Il n'a qu'à le faire, rétorqua-t-elle en désignant Dom d'un coup d'oeil.

Contrairement à ce que beaucoup pensaient, elle n'avait pas de goût pour la mort, encore moins d'instinct de mort. Elle était simplement plus douée que la plupart des gens pour ôter la vie avec grâce et finesse. En toute modestie. La mort était son cadeau, voilà ce qu'elle avait découvert depuis un moment déjà, quand elle s'était un jour trouvée en quête de réponses sur sa destinée. Elle lui avait échappé dès sa naissance et l'avait apprivoisée jusqu'à en faire une vieille amie à qui elle offrait parfois des âmes perdues en échange du savoir-faire inimitable qui était le sien. Fixant un point au-dessus de l'oreille d'Indis, elle affirma une nouvelle fois sa conviction.

- Sans moi.

Elle ne lui laissa pas le temps de répliquer cette fois. Elle se sentait lasse, incomprise. Elle éprouvait le besoin violent de s'isoler pour se retrouver. Cette pseudo collaboration avec Naej lui déplaisait finalement. Outre le fait qu'elle n'en pensait que davantage à Faustine. À chaque instant elle se revoyait écraser son poing sur sa mâchoire et se demandait si sa peau avait retrouvé sa pâleur d'origine. Les pensées douloureuses mettaient bien plus longtemps à disparaître que les autres. peut-être parce qu'elle se torturait elle-même depuis tellement longtemps qu'elles étaient devenues comme de vieilles compagnes de route familières.