Première mission

Le Palais de l'Autorité
11eme jour du troisième mois de printemps, an 1139


Le clocher sonnait les premières heures du jour mais déjà le Palais de l'Autorité s'agitait. Les serviteurs parcouraient les couloirs les bras chargés de linge, de nourriture ou d'autres ustensiles tout aussi pratiques mais moins reluisants. Quelque nobles étaient déjà debout et circulaient d'un air affairé, quoi qu'un peu fatigué. La vie grouillait au Palais comme dans une fourmilière.

C'est dans cette ambiance que Liza allait se présenter. On attendait cette nouvelle servante avec grand intérêt car dernièrement plusieurs servantes étaient tombées malades, réduisant l'effectif de manière significative alors que le travail, lui, ne changeait pas. On avait besoin de bras.

L'intendant était dans son bureau, à gérer des affaires. Il fallait réapprovisionner le Palais en bon nombre de denrée, certains artisans attendaient toujours qu'on les paye… en bref, il faisait son travail, la porte grande ouverte sur le couloir où circulaient tous les serviteurs.

MJ:

Depuis la veille au soir, June s'activait pour être que tout soit prêt pour endosser sa nouvelle identité. Elle se repassait en boucle l'histoire de Liza tout en affinant son déguisement. Puis estimant qu'elle ne pouvait faire mieux, elle prit un peu de repos.

Le lendemain, June se leva aux toutes premières heures du jours. Elle prit un rapide petit déjeuner, puis enfila sa tenue de servante. Elle mit sa perruque blonde en veillant à ce qu'aucuns cheveux roux ne dépassent et batailla pendant plusieurs minutes contre leurs natures quelques peu rebelle. Ensuite elle veilla à faire disparaître tout les signes qui la trahiraient pendant la mission et se regarda dans une glace. Elle fut fière du résultat sa propre mère ne la reconnaîtrait pas.

Elle prit la dague qu'on lui avait fournit et la fixa au mollet avec un petit pincement au cœur. Elle aurait préféré emmener Aiguille à la place. Sans elle, June avait l'impression de ne pas être complète.Elle chassa cette impression en se traitant mentalement d'idiote, qu' une dague restait une dague. De plus comment expliquerait-t-elle la présence d'Aiguille sur la personne de Liza ? Elle se regarda une dernier fois dans la glace, puis sortit de chez elle sans se faire remarquer.

En chemin, elle croisa dans les rues, sans se faire reconnaître, plusieurs gardes de sa promotion qui tentèrent de lui faire du charme. Elle entendit aussi plusieurs quolibets à propos des blondes et de leurs prétendu manque d'intelligence.

Elle prit le temps, tout en marchant, de repenser à la façon de se fondre dans le paysage et lorsqu'elle sortit de ses pensées, June se rendit compte qu'elle se trouvait devant le palais de l’Autorité. Elle respira un bon coup, et entra dans la gigantesque demeure par le passage qu'emprunte le petit personnel. Elle arriva sans encombre au bureau de l'intendant, toqua à la porte ouverte pour signaler sa présence et prononça d'une voix timide :

« bonjour monsieur, je suis Liza, la servante que vous attendiez. »

L'intendant lâcha son livre de compte pour lever les yeux sur la jeune fille qui venait de s'introduire dans son bureau. Son regard jaugea rapidement la mise de celle qui prétendait travailler au Palais de l'Autorité puis accrocha celui de Liza. Manifestement, il ne désapprouvait pas, même s'il n'avait pas approuvé ouvertement non plus.

« Vous arrivez à point nommé. Le travail ne manque pas, vous allez devoir suivre le rythme, je vous préviens. »

L'intendant s'exprimait d'un ton égal, comme si cela n'avait guère d'importance. De toute façon, si la jeune fille comptait garder le travail, elle devrait s'adapter, sinon elle n'aurait plus qu'à prendre la porte. Les choses clarifiées, l'homme appela une certaine Larina en élevant à peine la voix. Un instant après, un petit bout de femme fit son apparition par la porte du fond. Son regard se posa en premier sur l'inconnue avant d'interroger l'intendant.

« Oui monsieur ? »

« Voici Liza, elle commence aujourd'hui. Veillez à ce qu'elle sache quoi faire, et trouvez lui un uniforme. »

La dénommée Larina hocha la tête pour dire qu'elle avait compris et l'intendant retourna aussi sec à son livre de compte. C'était tout, il n'avait rien à ajouter. La petite femme se dirigea vers la porte menant dans le couloir et fit signe à Liza de la suivre. Elle lui arrivait à peine au dessus de la taille mais son visage expressif montrait bien que, si elle pouvait être une femme aimable, elle savait aussi se faire obéir des plus grands gaillards.

« Liza, c'est ça ? » fit-elle lorsqu'elles furent toutes deux dans le couloir, tandis qu'elle se dandinait en avançant à une vitesse étonnante à la vue de ses petites jambes. « Je ne veux pas être désagréable tant que je ne t'ai pas vu au travail, mais j'espère que tu sais te débrouiller parce que nous n'aurons pas le temps de t'aider. Il y a trop de malades en ce moment et le travail ne manque pas, tu devras être capable d'effectuer plusieurs tâches en peu de temps. »

Son ton se voulait aimable mais l'on sentait aisément que mieux valait que Liza soit efficace rapidement si elle ne voulait pas avoir de problèmes. Larina conduisit la nouvelle servante dans une petite pièce mal éclairée rempli d'étagères. Il s'agissait manifestement de la lingerie.

« Bon, voyons ce qu'on a pour toi. »

Moins d'une demi heure plus tard, Liza, vêtue de son nouvel uniforme de servante constitué d'une chemise beige et d'une jupe bleue, se retrouva en cuisine. On lui fit poser ses affaires dans un coin où elle les reprendrait plus tard puis on la mit au travail. Il fallut aider à porter les sacs de farines, puis les légumes qu'on venait d'apporter. Pas le temps de parler, il fallait travailler. Et lorsqu'elle se trouva désœuvrée, Liza se vit confier un plateau de petit déjeuner.

« Pour sire Barrn » lui dit-on avant de se souvenir qu'elle était nouvelle et d'ajouter : « Deuxième escalier, tu monte au premier étage, tu prends à gauche et c'est l'avant dernière porte du couloir. Tu frappe à la porte, tu rentre, tu dépose le plateau sur la table du salon et tu ressors avant qu'il ne te voit sinon tu es bonne pour supporter ses jérémiades pendant une heure. »

Le regard de la servante en disait assez long sur le sieur en question pour comprendre qu'elle avait sans doute subit ce traitement trop souvent. Mais quand on est serviteur, on ne peut rien dire, il faut endurer jusqu'à ce que les grands de ce monde aient décidé que l'on pouvait disposer.

MJ:

June sentit le regard de l'intendant l’évaluer, et ne sut dire si elle fit bonne impression ou non. Puis elle l'entendit appeler Larina et supposa que cette personne serait son guide pour la journée. Elle vit entrer dans le bureau une femme de petite taille qui après un bref échange avec l'intendant lui fit signe de la suivre. June la suivi et en l’écoutant parler, l'impression qu'elle a eu en la voyant dans le bureau, se confirma. Larina pouvait être très sympathique mais ce n’était pas quelqu'un à qui chercher des poux, ou a lui raconter des histoire. Elle imaginait très bien une personne batie comme une armoire à glace trembler dans ses bottes devant ce petit bout de femme.

« oui c'est bien ça. » à la mention de son nom et ajouta par la suite « peu importe le nombre  et le genre de tâches à effectuer, le travail ne me fait pas peur. »

Elle entra avec Larina dans une petite pièce mal éclairée qui sembla être la lingerie et se mit avec celle ci en quête d'une tenue appropriée.

* * *

Même pas une demi heure après, la voilà dans les cuisines, vêtue d'une chemise beige et d'une jupe bleue, son nouvelle uniforme. Elle eut juste le temps de poser ses affaires dans un coin avant d'être sollicitée pour transporter et ranger les sacs de farines puis ceux de légumes qui venaient d'arriver. Ce qu'elle fit dans la bonne humeur, fredonnant de temps à autre un petit air entraînant pour l'aider à garder le rythme.

A la fin de cette tâche, on vint la voir pour porter un plateau de petit déjeuner à un certain sire Barrn. Elle prit mentalement note des indications pour se rendre jusqu'à sa chambre et espéra fortement de ne pas croiser le triste sire en entendant la suite.

Elle prit le plateau et monta jusqu’à la chambre frappa à la porte,puis entra. Elle traversa le vestibule et entra dans le salon ou elle déposa son plateau à l'endroit prévu et s'assura que rien ne manqua.

Sur le point de s'en aller pour retourner en cuisine, elle remarqua la présence d'un homme d'un certain âge dans le vestibule. Ne sachant pas trop comment réagir, elle prit la décision de le saluer.

« bonjour messire. » dit-elle en s'inclinant les yeux rivées au sol, « je viens juste d'apporter le petit déjeuner au salon »

« Ah ! Fort bien, fort bien ! » approuva messire Barrn.

Il se dirigea aussitôt vers la table. Du moins, aussitôt, en prenant en compte sa démarche claudicante soutenue par une canne.

« Vous êtes nouvelle ici, mademoiselle. » observa-t-il en ayant le dos tourné.

Il inspecta rapidement le plateau du regard. Ce qu'il vit dû le satisfaire puisqu'il prit un morceau de brioche, détachée avec les doigts, puis s'assit difficilement sur la chaise la plus proche.

« Oh mes vieux os ! » geignit-il en soupirant. « Vous ne devez pas connaître cela, ma jeune demoiselle, mais vous verrez, cela vous arrivera aussi, lorsque vous aurez mon âge. »

Son regard fatigué se posa sur la jeune servante, toute fraîche et fraîchement arrivée au Palais. Fatigué mais encore tout à fait lucide. On ne pouvait même pas le taxer de sénilité.

June resta sagement à sa place et écouta. Elle se dit qu'elle pourrait peut-être apprendre quelques petites choses sur le palais avec lui. Elle répondit à sa question.


« Oui, messire, je suis arrivée ce matin au palais. »


Ne l'entendant faire aucun commentaire sur le contenu du plateau, elle se dit qu'il devait apprécier son petit déjeuner et respira plus librement. Elle préféra se taire quand sire Barrn se plaignit de ses os, ne voulant pas se mettre à dos le vieil homme par un commentaire mal placer. Elle se focalisa plutôt sur l'âge.


« J’espère pouvoir un jour atteindre votre âge vénérable, mais on ne sait jamais ce que la vie nous réserve. »


Elle resta dans la chambre prêtant une oreille attentive à tout ce que son hôte lui racontait et attendant qu'il veuille bien la libérer. Elle espéra aussi qu'on ne lui tiendrait pas rigueur du retard qu'elle accumulait, mais ne se fit aucune illusion.

Messire Barrn eut un geste de la main, agacé, comme s'il chassait une mouche importune.

« La vie, la vie, balivernes que cela ! La vie c'est vous qui la décidez, ne laissez personne vous dire le contraire, jeune fille, ou vous le regretterez. »

Il posa sa canne contre la table, s'assurant à gestes précautionneux qu'elle n'allait pas lui tomber sur le pied, puis se tourna pour de bon face à son plateau de petit déjeuner. Il prit sa cuillère et commença à manger sa compote. Mais il n'oubliait pas pour autant la petite servante qui se tenait devant lui.

« Vos collègues sont gentils avec vous ? J'espère que Larina ne vous a pas fait peur. »

Il regardait Liza par dessus sa cuillère, comme s'il la jaugeait.

« Je le sais messire » elle ajouta : « j'essaie de mener ma vie comme je l'entends, mais parfois on ne peut que subir les aléas du destins.»

Elle se tut, ne voulant pas contrarier le noble. Elle se demanda si elle n'avait pas été trop présomptueuse en tant que servante.

Elle sentit le regard de sire Barrn la parcourir et se demanda si c’était son physique de blonde ou bien autre chose qu'il jaugeait.

« Les collègues ont l'air sympathique, toutefois je n'ai guère eu le temps de discuter avec eux. Il y a tellement de choses à faire et peu de temps pour les réaliser. Cependant  je ne m'en plains pas car je n'aime pas rester inactive trop longtemps. Et Larina m'a quelque peu impressionné mais je suis sûre que cela s'arrangera au fil du temps, du moins si je m’acquitte correctement de mes tâches. J'ai cru comprendre qu'elle n'aime pas les tires-au-flan. »

Le triste sire s'entêta malgré la déclaration de la jeune servante.

« Quand on veut, on peut. » répliqua-t-il.

Il fronçait les sourcils à présent, mâchonnant un bout de brioche sans quitter son interlocutrice des yeux. Son regard vif et pénétrant avait parfois quelque chose de dérangeant. Certaines personnes fuyaient ce regard comme la pire des maladies contagieuses. Quant à ce qui concernait les collègues de la petite nouvelle, messire Barrn l'écouta avec grande attention. Et il fut manifestement ravi de ce qu'il entendait.

« Très bien, très bien ! Dans ce cas ne tirez pas au flan. C'est tellement désagréable les domestiques qui ne font pas leur travail. Vous ne pouvez bien sûr pas le savoir mais lorsque l'un d'entre vous manque à ses devoirs, nous sommes les premiers à en pâtir. Et cela m'ennuie au plus haut point. »

Il marqua ses paroles avec un hochement de tête entendu. Avec comme un air de reproche sur le visage.

« Vous ne serez pas de ceux qui ne font pas leur travail naturellement. »

« c'est vrai quand on veut on peut »

June donna pas suite au sujet car elle sait reconnaître quand un combat est déjà perdu.Elle surprit quelques chose dans le regard du vieil homme qui la mit mal à l'aise sans q. Elle recula discrètement de quelque pas vers la sortie et sauta sur l'occasion quand il se mit à parler des devoirs à accomplir.

« non messire je ne serai pas de cela. D’ailleurs je vais devoir vous laisser car on m'attends en cuisine pour effectuer des taches. Je vous souhaite de passer une excellente journée »

Sur ce elle salua poliment sire Barrn, sorti de la chambre et fila rapidement à la cuisine où on lui confia la tache d'astiquer l'argenterie et d'ensuite récurer les casseroles. Elle se mit au travail tout espérant de ne pas à avoir porter de nouveau un repas au vieux noble. Elle pris note de se renseigner à son sujet auprès de la servante qui l'a envoyé porter son repas.

Elle se lia d’amitié avec une ancienne, qui lui montra deux trois astuces pour que l'argenterie soit impeccable et joua à un concours de celui qui récurera le mieux les casseroles avec deux marmitons. Elle le perdit bien sûr mais cela n'avait peu d'importance car elle venait de gagner deux nouveaux amis.

Le vieil homme cligna des yeux lorsque la porte se referma derrière la jeune femme, comme incertain de la disparition de Liza. C'était bien la première fois qu'on lui faisait ce coup-là !

Dans l'après-midi, la nouvelle parvint jusqu'aux cuisines. Le sire Barrn s'était plein du peu de considération que la nouvelle servante lui avait témoigné. Les collègues de Liza prenaient les choses mi-figue mi-raisin, ils étaient aussi amusés que choqués. Larina, quant à elle, n'apprécia pas qu'on lui rapporte ce fait. Elle débarqua dans la cuisine pour faire comprendre à Liza devant tout ses collègues qu'il était hors de question que cela se reproduise. Le ton était sec mais aucune méchanceté ne brillait dans le regard de Larina, cela ressemblait plus à de la compassion. L'un des commis de cuisine tapota sur l'épaule de la nouvelle pour la réconforter lorsque la chef eut disparu. Si elle venait d'être remise à sa place, Larina n'avait pas ouvertement menacé de la renvoyer et aucune punition ne lui avait été attribuée. Sa faute serait bientôt oubliée si elle faisait son travail correctement à l'avenir.

L'heure du déjeuner passé, les ventres nobles satisfaits et la vaisselle nettoyée, les domestiques furent en mesure de se nourrir eux aussi. Ce n'était pas une heure habituelle pour qui ne travaillait pas là, les nouveaux avaient souvent du mal à se faire à ce rythme où l'on mangeait tard, bien longtemps après le petit déjeuner. Mais Liza avait travaillé comme tout le monde et le personnel s'était déjà accoutumé à sa présence.

Tout le monde mangeait dans la cuisine. La pièce, d'une taille plus qu'honorable, fut meublée en son milieu de toutes les tables de travail mises bout à bout. Bancs et chaises se glissèrent sur les côtés et l'on prit place sans faire de manière. Liza se trouva coincée entre le pâtissier et un marmiton, tandis que face à elle une cuisinière toute fine s'était glissée entre l'imposant chef cuisinier et son fils, le commis qui avait réconforté Liza un peu plus tôt.

Le repas se constituait tout simplement des restes cuisinés toute la matinée pour les sang bleus du Palais et gardés au chaud pour eux. La fourmilière laissa la place à un brouhaha joyeux. On ne tenait plus compte des postes de chacun, on mangeait et on discutait. C'est ainsi que vint le sujet de la fête.

« Gina a dit qu'elle jouerait pour nous ce soir quand la soirée de l'Autorité se finirait. » dit un garçon avec enthousiasme.

« Il faudra lui garder une part royale ce soir » signala une cuisinière.

« Je lui cuisinerai son plat préféré » approuva le chef cuistot.

Le marmiton assis à côté de Liza se souvint que la nouvelle n'avait encore jamais assisté au spectacle. Il se pencha vers elle pour se faire entendre malgré le brouhaha ambiant.

« Tu viendras ce soir ? Gina est une barde exceptionnelle, il faut absolument que tu l'entende ! »

« C'est la meilleure ! Elle a été remarquée par l'Autorité elle-même, et c'est pas pour rien ! » renchérit le chef pâtissier qui avait entendu « Tu es obligée de venir, on ne te laissera pas le choix ! »

MJ: