Mission de protection

C'est une nuit de début d'été. De celles encore fraîches mais dont la douceur annonce la venue très prochaine des beaux jours. Le ciel était dégagé et la pleine lune brillait si fort que les rues en étaient éclairées. Il était encore tôt, le clocher avait sonné dix coups peu de temps auparavant, mais la vie de la nuit avait déjà commencé. C'était le domaine des Réprouvés.

Certaines rues étaient plus sures que d'autres, et les deux silhouettes qui arpentaient les pavés à cette heure le savaient. Mais elles se dirigeait précisément vers les rues que les gens comme il faut évitent en général quand la nuit tombe. Et pour cause : elles allaient voir les prostituées.

Avec tous les remous des derniers mois, les Réprouvés qui se montraient à la population talsinienne en avaient bavé, les prostituées avaient été en première loge. Et même si les agressions envers les filles de joie s'étaient apaisées dernièrement, les bandes ne baissaient pas leur vigilance. Dans un secteur en particulier, il semblait que les filles soient plus régulièrement cibles d'agressions violentes. Deux jours avant on avait encore trouvé le corps de l'une de ces malheureuses dans une ruelle, les cuisses striées de coups de couteau, ainsi que la gorge maladroitement tranchée. La fille était encore vivante, mais tout juste, et se terrait au Château, sous le choc.

Inquiet pour la sécurité des filles, les chef de bande avaient doublé les surveillances protectrices autour des rues où elles vendaient leurs charmes. Ce soir, Naskia était du lot. Noxan lui avait demandé de prendre sa place, parce qu'il avait un autre truc à faire ce soir là.

Les deux silhouette quant à elles, étaient plus singulières dans ce tableau. Une jeune femme rousse et un homme d'allure banale. Naej avait lui aussi eu vent des problèmes, et il tenait sa part du marché. Les prostituées étaient de pauvres femmes qui en étaient rendues à monnayer leurs corps pour pouvoir vivre, elles ne méritaient pas de se faire tuer pour cela. Il envoyait donc l'une de ses meilleures armes pour défendre les âmes perdues, Indis, escortée par Dom, un homme en qui il plaçait sa confiance, fort et entraîné au combat mais dont l'allure n'effraierait pas les filles ni leur agresseur. Ils avaient carte blanche pour décider comment agir et quoi faire de l'homme qui s'en prenait aussi sauvagement aux prostituées.

MJ:

Naskia avait gardé une parfaite immobilité depuis des heures. Son corps s'était engourdi dans une sorte de froid glacial et fonctionnait au ralenti. Au contraire de son esprit et de ses sens qui, comme décuplés, lui servaient à surveiller étroitement la rue où elle était postée. C'est ainsi qu'elle vit débarouler une paire de zozos étrangers au quartier. Et elle aurait mis jusqu'à son dernier doigt à couper qu'ils ne lui étaient pas inconnus. Elle se concentra sur les silhouettes, les démarches et tous les détails qui devenaient de plus en plus nets jusqu'à ce que ses yeux lui confirment ce qu'elle avait déjà compris : elle avait devant elle sa couturière nocturne et le type qui l'avait si gracieusement escortée chez Naej.

Aussitôt, elle se prépara à bouger. Le sang se mit à circuler plus vite dans son corps pétrifié et pourtant prêt à bondir. Concentrée, attentive à ne rien perdre de la scène qui se déroulait sous ses yeux, elle finit par s'extraire de sa cachette sans bruit et sans mouvement superflu. Quelques instants plus tard, elle avait pleinement retrouvé l'ensemble de ses fonctions physiques et approchait en silence de la rouquine encapuchonnée. Soupçonnant l'étendue du pouvoir dont elle avait fait la preuve lors de leur dernière - et première - entrevue, elle n'espérait pas la surprendre mais se plut néanmoins à jouer au chat taquin. Un oeil pourtant ne quittait pas la jeune fille qu'elle était venue surveiller et que venait d'aborder l'acolyte gros bras Libéré.

Dom connaissait vaguement Indis. Il l'avait déjà croisée à plusieurs reprises mais n'était jamais parti en mission avec elle. De ses capacités il ne savait guère plus que ce que Naej avait bien voulu lui dire : elle sait lire l'âme des gens comme personne. Dom était sceptique sur l'utilité d'une frêle créature comme elle pour une mission telle que celle que le meneur leur avait confiée. La discrétion était certes de mise mais en cas de problème Dom risquait d'avoir du mal à les défendre tous les deux. Il espérait donc que Naej savait ce qu'il faisait.

Il fallait reconnaître cela à sa coéquipière du jour, elle n'avait pas froid aux yeux. Concentrée, elle se montra attentive et repéra avant lui l'attitude de la prostituée, un peu plus loin. Même si elle était là pour vendre ses charmes, la présence des deux inconnus la mettait visiblement mal à l'aise. Dom prit un peu d'avance sur sa partenaire pour aller seul à la rencontre de la femme. Quelconque et la trentaine très largement passée, elle arrivait à la fin de sa carrière, il lui faudrait sans doute penser à se recycler. Dom voulait s'approcher d'elle pour l'aborder, la rassurer et lui demander des renseignements, discrètement. Sa partenaire lui glissa alors une alerte discrètement. Une autre personne se tenait dans l'ombre quelque part. Comment le savait-elle ? Il regarda autour d'eux, méfiant, ne voyant personne.

Même s'il doutait de l'observation, Dom demeura sur ses gardes. Après tout, ils étaient venus là pour protéger des femmes qui justement se faisaient agresser, dans l'idée d'attraper le criminel même, si possible. Entrant dans le faux jeu de séduction des prostituées, le Libéré se rapprocha de la fille de joie. Il la salua poliment et lui demanda combien elle prenait, en profitant pour se rapprocher si près d'elle qu'il pouvait lui parler sans qu'on l'entende. Très brièvement, il lui expliqua qu'il n'était pas là pour consommer mais qu'il avait entendu parler des disparitions chez ses collègues et que lui et sa partenaire cherchaient à les aider. Si elle voulait bien coopérer…

Pendant ce temps, la rouquine se tenait comme un piquet un peu plus loin, tournée vers un coin d'ombre. Que faisait-elle bon sang ? Croyait-elle qu'ils étaient venus pique-niquer ? C'est alors que du coin de l’œil il vit une silhouette sortir de l'obscurité. Sur le qui-vive, Dom s'apprêta à sortir son arme. Puis il reconnut la Réprouvée. Naskia Viläme. La femme avec laquelle leur meneur avait conclu un pacte. Pacte qui les menait précisément ici ce soir. Si ça ce n'était pas une coïncidence avec un grand U (comme Unique) il voulait bien se couper le petit doigt !

À côté de lui, la prostituée, déçue, laissa tomber. Elle ne voulait pas parler, malgré les tentatives de Dom pour la mettre en confiance, elle craignait qu'il ne lui attire des ennuis, sans parler du manque à gagner s'il lui prenait son temps. Alors elle s'éloigna pour aller tapiner un peu plus loin. Dom se joignit alors aux deux femmes. Il n'avait pas une grande estime pour la voleuse mais puisqu'elle se préoccupait de la sécurité des siens, il pouvait au moins lui accorder un peu de confiance. Et puis, c'était les ordres.

- C'est Naej qui nous envoie, précisa-t-il, peut-être inutilement puisque la Réprouvée était bien placée pour connaitre l'accord provisoire.

En revanche, il se demandait comment les deux femmes pouvaient se connaitre, et quel lien elles pouvaient bien entretenir...

Même sans bruit, Naskia ne pouvait s'attendre à approcher Indis sans se faire remarquer. Pourtant, elle s'y amusa l'espace d'un très court instant. Elle se posta derrière elle, un peu en retrait de son épaule par dessus laquelle elle pouvait voir son acolyte tenter vainement d'amadouer l'arpenteuse. Elle garda le silence aux paroles de la rouquine et attendit même que son garde du corps soit revenu après d'elles. Alors seulement, elle leva la main sur laquelle brillait d'un éclat froid la preuve de son lien avec ce vil petit manipulateur de Naej. Et comme à chaque fois qu'elle pensait à lui, son esprit la mena à Faustine puis à Kelan et Jewel. Mais son coeur ne se laissait plus heurter si facilement à présent. Trop sévèrement meurtri, il restait à l'abri derrière de hautes et froides défenses. Un demi-sourire sarcastique étirant ses lèvres, elle agita les doigts brièvement.

- Sans blague.

Reportant son attention sur Indis pour ne plus se soucier de l'autre gros bras à cervelle de moineau, elle inclina légèrement la tête pour la saluer. Il y avait toujours cet étrange petit sourire au coin de sa bouche mais il était étrangement plus doux pour la demoiselle.

- Toi ? Pourquoi ?

Économie de mots et confiance en son intelligence. Il n'était pas difficile de comprendre qu'elle s'étonnât de voir apparaître la petite couturière en ces circonstances. La vie avait une bien curieuse manière de mettre en scène ses personnages et de leur faire savoir à quel point le monde était petit. La cicatrice qui barrait son dos la chatouilla brièvement mais elle réprima le petit frisson qui s'ensuivit. La tapineuse ne s'éloignait pas trop mais elle n'allait pas aimer que le trio s'attarde. C'était mauvais pour la clientèle en mal de discrétion.

Deux précautions valent mieux qu'une. Naskia avait raison de montrer l'anneau offert par Naej. Dom pinça les lèvres à sa vue, se demandant ce qu'avait bien pu faire la Réprouvée pour mériter un tel cadeau, beaucoup trop précieux pour elle. Au moins avait-elle eu le bon goût de ne pas le vendre.

Mais c'était sa partenaire qui intéressait la voleuse. Et manifestement, Naskia ignorait que la jeune femme était des leurs. Ce que Dom avait ignoré jusque là, c'est qu'elle était une couturière. Allons bon, mais que venait donc faire une couturière dans cette histoire ? Elle prétendait faire partie des meilleurs éléments, et en effet Dom l'avait vu tourner autour de Naej en plusieurs occasions, laissant penser qu'elle était proche de lui, au moins autant que lui-même mais peut-être plus. Et puis il y avait ce que le meneur avait dit à propos de ses capacités à lire dans les âmes. Maître du secret, Naej ne donnait pas toutes les informations, mais il savait aussi mener ses troupes, du moins semblait-il. Mais même après quelques années sous ses ordres, naviguer à l'aveugle devenait parfois compliqué. Et le Libéré ne pouvait s'empêcher de glaner les informations qu'il obtenait sur sa partenaire du jour.

Soudain, la rouquine s'immobilisa, comme si elle entendait quelque chose. Dom tendit l'oreille et regarda autour d'eux. Rien. La prostituée était non loin, ses collègues toujours dans les parages aussi. Mais rien ne semblait anormal dans la rue.


La silhouette menaçante longeait le mur et profitait de son ombre. Elle fuyait la frêle lumière de la lune comme si elle menaçait de la brûler. Elle s'était enveloppée dans une cape noire mais son visage était découvert. L'homme possédait une abondante chevelure noire qui tombait librement sur ses épaules, sale et emmêlée. Et les pensées qui habitaient ce crâne étaient tout aussi sombres que le reste. Cachées aux yeux de tous, comme le faisait le reste de sa personne. Il pensait à l'impureté dont il débarrassait la ville. À la nausée que la vue des prostituées faisait naître chez lui. Ces créatures souillées, porteuses de maladies, salissaient les rues de Talsinia. Personne ne comprenait qu'il agissait pour le bien de la ville. Alors il était obligé de le faire sans que personne ne le voit. Il était un héro anonyme.

Le héro anonyme tourna au coin de la rue. Il savait qui il cherchait ce soir. Chacune de ces créatures méritait la purification, mais celle-ci en avait besoin au plus vite. Le pauvre homme ne pouvait nettoyer les rues plus vite que son ombre. Bien que ce ne soit pas faute de le désirer, avec ardeur.

MJ:

Naskia arqua simplement un sourcil sarcastique à la mention de Naej et de ses choix de recrutement. Elle l'avait rencontré, oui, et doutait depuis de sa lucidité. Mais il n'était pas temps d'en débattre et même si elle le faisait ce ne serait certainement pas avec une paire de sbires du chef des Libérés. Pour finir, elle se contenta de hausser une épaule et de hocher la tête, signe discret mais incontestable qu'elle acceptait des les compter dans leurs rangs pour le moment. Tant qu'ils ne se mettaient pas dans ses pattes, en tout cas. La proximité d'un visiteur la dispensa de tout commentaire superflu et elle se contenta donc de hocher à nouveau la tête avant de reculer dans l'ombre la plus proche. En quelques instants, ils furent tous trois bien cachés et purent observer l'approche de la silhouette sombre. Tout client de prostitué était potentiellement une menace, nul besoin d'être grand clerc pour le savoir, mais ils ne pouvaient décemment pas tous les arrêter pour moeurs étranges ou déplacées.

Immobile dans l'ombre, l'assassin ne perdait pas une miette du spectacle. Elle ne perdait pas de vue la prostituée ni ses collègues placées plus loin. La pensée la traversa qu'elle aurait pu être à leur place. C'est ce qui se serait produit si un autre que Kelan l'avait trouvée avant lui ce jour-là, des années auparavant. Un simple caprice du destin l'avait menée là où elle était à présent. Plusieurs caprices, en fait, du jour où elle avait été conçue par erreur à celui qui la voyait à présent s'allier à des pseudo-justiciers aux motivations troubles. Ce n'était guère le moment de penser à Kelan et au passé, pourtant, aussi se concentra-t-elle sur l'observation de l'individu approchant. Elle lui trouvait l'air louche mais à bien y réfléchir, n'importe quel client de prostitué tentant de se faire discret aurait eu l'air tout aussi louche en ces circonstances. Les doigts sur le manche d'une lame, elle restait parfaitement immobile et respirait à peine. Indis pouvait-elle lire dans les pensées des gens simplement comme ça, en les regardant de loin ? Pouvait-elle déceler une intention violente ou meurtrière ? Pouvait-elle la distinguer d'une simple déviance sexuelle ? Et l'autre gros bras était-il au courant de son don ?

Il y avait peu d'espace dans ce recoin où ils devaient se serrer tous les trois pour se dissimuler au regard du nouvel arrivant. Dom entendit le chuchotement distinctement, ne réalisant pas qu'il n'existait pas en dehors de leurs esprits. Tout comme il ne comprenait pas ce qu'elle racontait.

- Qu'est-ce que tu raconte ? chuchota-t-il aussi bas que possible. Tais-toi il va t'entendre !

Ce n'était vraiment pas le moment de raconter des histoires. Cette homme pouvait être une menace pour les prostituées, ou un simple client, mais dans le premier cas il faudrait intervenir. C'était pour cette raison qu'ils étaient là. Et il ne fallait pas qu'elle fasse tout rater !


Le héro solitaire se rapprocha de sa cible. Une créature encore jeune, quoi que plus tant que cela pour une prostituée. Elle était plus fraîche que sa voisine, c'était certain. Et surtout, elle présentait un degré de perversion beaucoup plus élevé que ses amies ici présentes. Et voilà qu'arrivait le moment le plus désagréable. Comme personne ne comprenait l'importance de sa tâche, il ne pouvait agir devant des témoins. Il lui fallait isoler sa proie. Fort heureusement, les prostituées n'étaient pas compliquées à isoler, l'ennui résidait dans le fait qu'il fallait pour cela se prêter à un jeu qui le souillait lui aussi. Ces femmes salissaient son âme avec leur perversion mais il acceptait cela, c'était cela aussi, être un héro. Tout héro possède ses blessure, il ne faisait pas exception, car lui aussi était blessé, physiquement, certes, mais aussi au plus profond de son être.

Le héro solitaire s'approcha de la prostituée, adoptant une posture timide, un timbre de voix discret.

« On m'a dit que vous vendiez du plaisir, je voudrais y goûter »

Cela aussi le blessait. Autrefois il était viril, il attrapait ces femmes souillées avec panache. Aujourd'hui, il en était rendu à mendier leur attention. Et même si ce n'était qu'une apparence, qu'il jouait un rôle, cela le dégoûtait.


De là où ils se trouvaient, Dom n'entendait pas ce que le visiteur disait. Le Libéré trouvait une allure louche à cet inconnu, mais il était difficile de juger. Si lui-même n'avait jamais fait appel aux talents d'une prostituée, il se faisait une image bien nette de la situation. Et il ne décelait pas chez cet homme de signe qui, sans équivoque, puisse trahir de mauvaise intentions. Indécis, il se demandait s'il fallait agir ou non. Et, trop proches de l'homme, ils ne pouvaient parler sans risquer d'être entendu par le visiteur. Peut-être l'assassin qui les accompagnait ce soir saurait-elle mieux que lui s'il fallait craindre quelque chose de cet homme. Cela lui fit mal mais il s'en remit à son jugement, prêt à réagir en conséquence.

Les mots d'Indis murmurés dans sa tête ne faisaient que confirmer ce que Naskia savait déjà au fond d'elle. Chaque fibre de son être lui criait que le type qu'ils avaient en vue était celui qu'ils cherchaient. Il exsudait le danger, la peur et le mal, et personne mieux qu'un assassin comme elle ne pouvait le sentir dans ses os. Les doigts toujours posés en légèreté sur le manche d'une lame, prête à frapper de loin si les choses accéléraient, elle rampa hors de sa cachette sans faire le moindre bruit ni déplacer d'air. Toujours dans l'ombre, elle entreprit de se rapprocher autant que possible tout en restant invisible, dans l'angle mort du suspect. Une grande part d'elle voulait simplement abattre le malfaisant sans autre forme de procès. Le monde s'en porterait mieux. Mais si elle avait accepté la présence des Libérés, c'était aussi un compromis sur ce point. Ils allaient vouloir capturer le type vivant pour rendre justice ou quelque ineptie du même acabit. Peu importe finalement, elle pouvait sans problème lui amocher une jambe pour qu'il este vivant mais ne puisse pas leur échapper. Il fallait juste qu'il ne soit pas trop proche de la fille pour ne pas risquer qu'il se retourne contre elle. Encore un tout petit peu et elle serait assez près pour bondir et repousser la fille une fois le type à terre. Allez, juste un tout petit peu.

La prostituée accueillit son client avec un sourire aguicheur. Faisant onduler sa silhouette, elle s'approcha de lui comme il demandait à acheter du plaisir.

« Quel plaisir te tente mon tout beau ? »

Le héros solitaire fut écœuré de cette demande. Elle ne pouvait le voir et tentait de l'amadouer avec des compliments vides de sens.

Naskia s'approchait de lui, furtive. Il ne pouvait la voir et la prostituée ne l'avait pas encore vue. Dom, lui, observait la scène, quelque peu perplexe. Il avait certes décidé de lui faire confiance en matière de jugement du comportement de l'homme, mais il se demandait malgré tout si elle n'allait pas un peu vite en besogne. Pour lui, l'homme ne s'était pas montré menaçant, il paraissait même timide, malgré ce qu'avait prétendu sa coéquipière. Cette dernière lui faisait d'ailleurs signe de rejoindre Naskia. Après un instant d'hésitation, Dom suivit le conseil.

Moins discret et moins familier des Réprouvés que l'assassin qui le précédait, il se fit aussitôt repérer par la prostituée. Celle-ci marqua sa crainte et alerta par cela son client. L'homme ne parut pas surpris. Il s'y attendait. Héros incompris, il savait devoir se méfier à chaque instant. Il se retourna pour se retrouver face à deux opposants armés.

- Toi ! s'exclama-t-il en voyant Naskia.

Il n'eut pas le temps d'en dire plus. L'assassin était déjà sur lui, tandis que Dom bondissait pour écarter et protéger la prostituée.

Elle aurait du se douter que cette opération allait être foireuse. Dès le départ, c'était mal barré rien que du fait qu'on lui avait collé de force une paire de coéquipiers. Et puis bon, Indis qui parlait dans sa tête et l'autre taré qui était à deux doigts d'entrainer la fille à l'écart pour lui faire sa fête, ça faisait beaucoup, même pour un animal à sang froid comme elle. Et c'est ce qui expliquait l'instant d'hésitation qu'elle avait marqué quand l'assassin potentiel s'était tourné vers elle.

Les traits de son visage ne l'avaient pas marquée mais il la reconnut et il était maladroit. Avec son goût pour les putes, ça faisait un énorme faisceau d'indices convergents. Le lien se fit dans sa tête et pourtant, elle avait du mal à croire qu'il soit là, face à elle. Le seul fait qu'il tienne encore debout et se serve de ses bras - même de manière malhabile - prouvait sa détermination à nuire.

Le très bref instant où elle cligna des yeux suffit pour que ce malade soit prêt à la recevoir quand elle fondit sur lui. Elle s'en serait giflée. Il ne lui vint pas une seconde à l'esprit de répondre à Indis par le biais de la pensée, peu habituée qu'elle était à ces méthodes et au fait de ne pas être seule. Aussi engagea-t-elle une lutte au sol avec le type en essayant de ne pas viser directement un point vital. Le ciel savait pourquoi elle avait retenu que les autres le voudraient vivant.