Inspection particulière

Décidément, cette inspection se passait le mieux du monde. Irwind avait peu à peu changé d'attitude au fil de la journée et Faustine était satisfaite de la manière dont se déroulait les choses. A ce rythme ils auraient de nouveaux fonds débloqués par la ville, ce qui serait bénéfique pour les enfants. Et c'est tout ce que la jeune femme souhaitait, rendre leur vie la plus belle possible. Ils avaient déjà tous connus leur lot de souffrance, trop grand pour leur jeune âge. Alors Faustine estimait que leur passage à l'orphelinat ne devait surtout pas continuer en ce sens et au contraire leur offrir une enfance la plus "normale" possible.

L'ambiance était de moins en moins formelle grâce au repas. Cependant Irwind ne parut pas remarquer le trouble de la jeune femme, ou ne lui en tint pas rigueur et elle l'en remercia intérieurement, avant de se maudire de minauder de la sorte. Voilà qui ne lui ressemblait pas. Heureusement, elle reprit contenance rapidement et retrouva son naturel spontané et son aisance à parler en société. Elle profitait aussi d'un vrai repas, car souvent le midi, elle mangeait sur le pouce tant les journées étaient remplies. Pendant que le jeune homme détaillait d'un air appréciateur son antre, la directrice l'observa à la dérobée.

Gracile et sérieux, l'homme avait quelque chose d'attirant quand on y regardait bien. Il semblait jeune pour avoir un poste avec autant de responsabilité, mais à vrai dire, ils avaient sans doute le même âge, à une poussière près. Et de lui se dégageait une certaine maturité et une assurance qui permettaient de se rendre compte qu'on n'avait pas à faire à n'importe qui. Beaucoup devaient être intimidés devant sa prestance. Mais Faustine avait l'habitude de l'officiel et c'était l'homme derrière qui l'intéressait. Il avait un côté un peu trop sérieux et pince sans rire, mais elle était sûre que dans l'intimité, il devait être très agréable à vivre. Lorsque son regard revint à elle et qu'il ouvrit à nouveau la bouche, Faustine secoua la tête pour revenir à l'instant présent, et sourit sans se décontenancer, laissant dans un coin de sa tête les pensées qui l'habitaient.

-Oh vous savez, je ne sais pas s'il y a grand chose d'intéressant à raconter sur ma personne. Je passe la plupart de mon temps ici et ce travail occupe une grande partie de ma vie. Mais j'aime ce que je fais et donc ce n'est pas une corvée pour moi. Mais la jeune femme que je suis a bien quelques passions, je vous le concède. La musique en premier lieu. Je ne me lasse jamais d'aller à des récitals de l'orchestre de la ville. C'est ... magique je trouve, cette façon qu'a la musique de vous transporter dans un autre univers. Tout comme le théâtre d'ailleurs.

La jeune femme marqua une pause, avant de reprendre :

-Et vous-même ? J'imagine que visiter les institutions de notre ville n'est pas votre passe-temps favori ?

Un air amusé se peignit sur son visage, tandis qu'elle buvait une nouvelle gorgée de vin. Décidément, l'envie de terminée la corvée administrative qui les attendait se faisait de moins en moins pressante...

- Oh ! fit-il avec un brin de déception. Je dois avouer que je suis jaloux. J'aime énormément la musique, et pourtant, il semble que je ne pourrai jamais me rendre à un concert. Chaque fois que l'occasion se présente, il y a toujours quelque tâche qui vient se mettre en travers de mon chemin. Il semble que le Destin ait décidé que je n'irai pas écouter cet orchestre. Heureusement, nous avons une ménestrel merveilleusement douée au Palais, pour me permettre de me consoler de cette perte.

L'évocation de Faustine lui rappelait malgré tout ce manque. Mais les choses étaient ainsi, et il avait choisi de se mettre au service de Talsinia, corps et âme. Si l'on peut parler de choix.
Il reprit une gorgée de vin et acheva de vider son assiette. Il avait eu plus faim qu'il ne l'avait cru. Alors il reposa son assiette dans le plateau. Il y avait encore le dessert. De petites tartelettes fourrées aux pommes. Bien élevé, Irwind attendit que Faustine termine avant de s'en prendre au gâteau armé de sa cuillère.

- Des bardes viennent-ils de temps en temps chanter ici ?

Une question de pure curiosité, car Irwind devait bien avouer qu'il ne connaissait pas l'établissement avant ce jour. Même si, à présent, il en savait beaucoup plus. Une question un peu intéressée tout de même, car elle prolongeait la discussion et repoussait le redoutable moment de la paperasse.

Amusée, Faustine hocha la tête à ses paroles. Effectivement, ça ne devait pas être très drôle d'être bloqué au travail tout le temps. Même si elle savait ce que c'était la jeune femme réussissait tout de même à trouver le temps d'être présente à des évènements culturels. Il faut dire que ça lui permettait de souffler un peu et de s'évader du quotidien.Mais ces derniers temps, elle avait eu beaucoup de travail et finalement peu le loisir de sortir. La directrice sourit en répondant :

-En effet, un ménestrel doit compenser le manque de sortie... Mais bon, si vous voulez nous pourrions prévoir d'assister à un concert ensemble, comme ça vous pourriez dire à vous tâches qu'on ne décommande pas une sortie avec une dame.

Un air complice s'afficha sur le visage de la jeune femme, qui avait enfin terminé son assiette et attaquait le dessert en même temps que son hôte, qui l'avait poliment attendue. En dégustant la merveilleuse cuisine de son équipe, Faustine répondit en levant sa cuillère en l'air :

-Oui tout à fait, nous organisons quelques spectacles pour les enfants, avec des bardes que nous connaissons, qui sont adaptés au public que nous avons. Et c'est toujours des bons moments, j'adore voir leurs yeux émerveillés et leur petite voix qui se met à suivre le barde...

Et le repas touchait à sa fin. Terminant son vers de vin, Faustine lança un regard désespéré vers son bureau, avant de soupirer en se levant :

-Et bien, je crois que nous ne pouvons plus repousser le moment fatidique.Je vous montre les dossiers ?

La jeune femme s'approcha du bureau, calant une deuxième chaise à côté du fauteuil, sur laquelle elle s'assit pour laisser à son invité le loisir d'être mieux installé.

Le repas achevé, il fut grand temps de se remettre au travail. Ce n'était pas de gaieté de cœur mais la compagnie n'était pas désagréable et Faustine se montrait compétente. Finalement, Irwind convint sans mal qu'il avait connu pire corvée que celle-ci.

Lorsqu'il reparti avec les registres de l'année écoulée sous le bras, il était fatigué mais pas autant qu'il s'y était attendu. Et il emmenait avec lui une promesse qu'il comptait faire tenir. Lorsqu'il alla récupérer son garde qui tenait compagnie aux cuisinières, Lean haussa un sourcil en voyant son maître aussi décontracté mais ne fit aucun commentaire. Ce dernier lui fourra les registres dans les bras et ils prirent la direction du Palais où les autres attendaient ou n'allaient pas tarder à le rejoindre. La journée n'était pas encore finie malheureusement. Irwind soupira, son allégresse envolée soudain.